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Si des petites filles âgées de 18 mois sont victimes de viols collectifs, pourquoi les suspects sont-ils libres? / The Guardian

11yo.horizontalUne fillette âgée de cinq ans est assise timidement sur son lit d’hôpital en métal alors que sa mère raconte ce qui l’a amenée à l’Hôpital de Panzi, dans l’Est de la République Démocratique du Congo. A quelques lits de là, une petite fille âgée de six ans, et plus loin encore, un petit bout d’être de trois ans avec un capuchon fuchsia. La plus jeune de ces fillettes avait été amenée la nuit précédente et subissait une fistule suite d’un viol collectif.

Dans chacun des cas, ce que ces jeunes filles ont subi est très semblable. Chacune a été enlevée pendant la nuit dans leurs cases rudimentaires de leur village marqué par la pauvreté, dénommé Kavumu, à environ une heure et demi de route de l’hôpital à travers les amas de boue qui font office de route en RDC pendant la saison des pluies. Chacune a été violée collectivement et abandonnée dans un champ tout proche appartenant à l’Etat, envahi par les tiges de mais de sorgho, et de manioc desséché ; l’endroit est exploité comme une sorte de ferme de subsistance par des anciens soldats rebelles. Une promenade dans la prairie équivaut à faire le tour des endroits où les fillettes ont été trouvées en train de perdre du sang, incapables de bouger dans les ténèbres de la nuit.

Comment ce lieu est devenu un référent pour les enfants détruits est resté du domaine du mystère pendant trois ans — depuis juin 2013, lorsque ces viols ont commencé. Les jeunes filles ont commencé à disparaître de leurs maisons pendant la nuit, alors que, mystérieusement, les familles restaient endormies.

Les parents affirment avoir été drogués sous l’emprise d’une sorte de « poudre magique », saupoudrée sur leurs maisons pendant les attaques. Des hommes en groupe de deux, trois ou quatre ont violé plus de 50 enfants, âgés de 18 mois à 11 ans. Au moins deux sont mortes des suites de leurs blessures. Ces filles sont extrêmement jeunes et sous alimentées, et ainsi plus petites que la normale. Leurs blessures ont été si sérieuses que l’un des médecins expérimentés à Panzi, l’hôpital réputé pour traiter les légions de femmes violées en RDC, m’a confié avoir perdu connaissance face à cette barbarie.

Il ne s’agit pas d’un simple viol commis en temps de guerre.

Ceux-ci sont terrifiants, ciblés, les attaques individuelles contre les plus jeunes enfants du pays étant commis par ce qui semble être un homme puissant et ses sbires, qui croient – comme les combattants locaux de la milice Maï-Maï — que le sang des filles vierges va les fortifier pour le combat. The Guardian ne peut nommer l’homme pour des raisons légales.

Pendant plusieurs mois, le gouvernement a considéré cet homme comme son principal suspect — et connaît même les noms d’hommes soupçonnés de travailler pour lui. Pourtant, rien n’a encore été fait pour l’arrêter.

Je me suis rendue à Kavumu depuis janvier, et dans cette période quatre autres filles ont été enlevées et violées – le cas le plus récent date du 3 juin – selon des sources qui suivent ces cas de près. J’ai passé des mois à essayer de comprendre les retards dans l’arrestation de cet homme et ses acolytes, en vain. On m’a évoqué toutes sortes de choses allant de « Le procureur local est trop occupé » à « Les dossiers sont acheminés dans divers services ». Les rumeurs selon lesquelles des mandats d’arrêt ont été émis se sont transformées en d’autres rumeurs selon lesquelles ils ne l’ont pas été.

De plus, les autorités ont identifié un suspect-clé dans la création de la soi-disant poudre magique, qui, apparemment, pourrait être une sorte d’anesthésiant fait à base de plantes locales. Il n’y a pas eu non plus de tentative de placer cet homme aux arrêts. Entretemps, l’organisation de maintien de la paix, la MONUSCO, a occasionnellement augmenté ses patrouilles de nuit à Kavumu, mais apparemment pas assez pour mettre fin aux enlèvements.

La première fois que j’ai écrit il y a plus d’un an au sujet de ces agressions pour le magazine Foreign Policy, le gouvernement de Kinshasa s’est saisi du dossier, annonçant qu’il allait lancer une « enquête nationale ». Alors qu’il avait fait appel à un enquêteur de Kinshasa, ayant pour tâche de faire la lumière sur ces crimes, le gouvernement n’a pas affecté de ressources ni fourni aucun soutien pour que l’enquête aboutisse (et depuis lors n’a cessé de clamer l’arrestation d’hommes qui n’ont rien à voir avec ces viols). La corruption locale et l’incompétence — et, semble-t-il quelque chose de plus malveillant, entravent l’enquête. L’homme identifié comme étant le chef de file du groupe – qui est lié prétendument aux autorités au pouvoir — pourrait avoir des relations jusqu’à Kinshasa.

L’enquête sur les cas de Kavumu était depuis longtemps fragmentaire et chaotique. Mais à la fin de 2014, un groupe de travail composé de la Monusco, d’autres agences de l’ONU, de l’hôpital de Panzi et de quelques ONG ont fait de ces cas une priorité, les qualifiant de «crime contre l’humanité» et faisant pression sur Kinshasa. Ceux qui essaient de faire la lumière face à cette situation ont cependant été confrontés à un système judiciaire à peine fonctionnel et à la corruption. Le père d’une victime m’a dit qu’il a été arrêté et détenu pendant 24 heures la nuit où il est allé rapporter le viol de sa fille. On lui a dit de payer un pot de vin de 100 $, mais a négocié avec ses geôliers la somme de 20 $ et a été libéré.

Pendant trop longtemps, personne au sein des autorités à Kinshasa, située à 900 miles, ne semblait savoir ou se soucier de ce qui se passait à Kavumu. Mais dire que le gouvernement n’est pas au courant de ce qui est fait aux populations les plus vulnérables du pays – et très probablement par qui – est contraire à la vérité.

Une jeune fille âgée de 9 ans que je vais appeler Claudine est l’aînée de deux sœurs enlevées le 21 août 2014. Une enfant maigre vêtue d’une chemise élimée grisonnante a révélé que les hommes qui l’ont violée portaient des masques et des capes noires. Elle m’a dit qu’elle ressentait encore la terreur d’avoir été abandonnée seule à l’endroit où les hommes en avaient fini avec elle. Quand je lui ai demandé combien d’entre eux l’avaient touché, elle a dit: «Trop».

Elle baissa les yeux et murmura ce qu’elle veut que le monde entende: «dire comment nous avons été enlevées de nos maisons sans le savoir,” a-t-elle demandé. « Et comment nous avons été détruites. »

Ce qui est en train de se passer à Kavumu illustre clairement l’absence de capacité ou de volonté du gouvernement à faire face à la crise de viols que traverse le pays. Pendant des années, le président, Joseph Kabila, était apparemment indifférent au fait qu’il y avait même un problème. En 2009, cependant, il déclara une politique de «tolérance zéro» sur la violence sexuelle. Il a nommé un représentant spécial sur la violence sexuelle, Jeanine Mabunda, en 2014. Pourtant, peu a changé depuis lors, que ce soit en matière de lutte contre l’impunité pour les viols ou en ce qui concerne l’assistance aux victimes.

Par exemple, jusqu’à ce jour, pas une seule réparation ordonnée par un tribunal n’a été versée à une seule victime de viol dans le pays. Lorsque la RDC a finalement payé 155,000 $, montant du à 29 femmes qui avaient été violées dans une ville appelée Songo Mboyo en 2003, l’argent a été donné à d’autres femmes dans un cas pathétique de fraude. En même temps, le bureau de Mabunda a dépensé des dizaines de milliers de dollars (voire des centaines de milliers) employant des firmes réputées de relations publiques américaines pour parler en son nom.

Et dans une démonstration remarquable de priorités biaisées, alors que le gouvernement avait déclaré qu’il n’y avait pas assez d’argent pour octroyer des réparations, Kabila a donné en février des Toyota Land Cruisers d’une valeur de 2.16m $ à l’équipe nationale de football du Congo.

Il faut ajouter à tout cela qu’il y a eu très peu de procès importants pour viol dans le pays. Il y a eu le procès de Minova en 2013 qui a attiré beaucoup d’attention, au cours duquel 39 soldats congolais ont été accusés d’avoir violé au moins 76 femmes dans la province du Sud-Kivu en 2012. Pourtant, seulement deux hommes ont été condamnés – pour avoir commis seulement deux viols – et tous deux étaient de simples sous-officiers. Les ONG internationales ont mis en évidence le manque d’enquêteurs formés et une série d’erreurs de la part des autorités judiciaires dans le cadre de cette « tragi-comédie » qui a abouti à anéantir les espoirs nés du procès de Minova. L’un des magistrats qui présidait le procès m’a dit que la faiblesse des éléments de preuve recueillis ne permettait pas la condamnation les autres hommes.

En outre, les défaillances dans les quelques cas qui arrivent à la connaissance de la justice ont des conséquences graves pour n’importe quelle poursuite qui pourrait suivre. L’affaire Minova « a envoyé le message que les gens influents sont protégés, quelques soient les actes qu’ils commettent », affirme Géraldine Mattioli-Zeltner, directeur de plaidoyer du programme de justice internationale de Human Rights Watch, dans une vidéo en ligne sur le site de HRW.

Avec le chaos provoqué actuellement par l’apparente tentative de Kabila de se maintenir au pouvoir en dépit des règles constitutionnelles prévoyant un nombre limité de deux mandats présidentiels, il a ici une occasion à saisir: il peut montrer à son pays et au monde qu’il se soucie vraiment des plus vulnérables, des plus pauvres parmi les pauvres, de ceux qui sont réellement sans défense dans son pays : les enfants de Kavumu. Il incombe à lui pas à la Monusco ou à n’importe quel autre organisme — d’allouer non seulement des ressources importantes pour les besoins de l’enquête et des poursuites, mais de faire de ces arrestations une priorité. Ou bien il peut attendre jusqu’à ce que les médias internationaux révèlent simplement qui est l’auteur de ces attaques et les défaillances honteuses de l’action de son gouvernement.

« Arrêtez ces hommes », a imploré Claudine, blessée, qui reste à Kavumu dans l’attente de la justice. “Ensuite, laissez-les être détruits comme ils nous ont détruit.”

 

Ceci est une traduction d’une opinion initialement publiée en anglais dans The Guardian.

Cliquez ici pour vous informer au sujet de l’arrestation des auteurs présumés, qui a eu lieu 12 heures après la publication de cette opinion.

Photo: Lauren Wolfe

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